mardi 3 avril 2018

3 avril

L’homme n’a pas d’âge, on voit le vieillard et on distingue l’enfant. Il raconte en souriant, il pleure, il dit qu’avant il pleurait chaque jour, là ça va mieux. Avant, on comprend que cela recouvre une quarantaine d’années, depuis qu’un père a disparu alors que l’enfant, puis l’homme, espérait toujours qu’un jour il réapparaîtrait. Le vieillard aura définitivement cessé d’attendre.
Au tout début, Binh-Dû n’était pas certain d’avoir bien entendu le sanglot dans la voix, parce qu’il y avait un sourire par-dessus. Il était difficile de savoir à quoi s’en tenir face à un visage si instable, proprement décomposé. Binh-Dû s’était senti en sympathie, peut-être après tout suffisait-il de fréquenter des Orientaux pour se trouver à d’autres humains semblable.
L’homme dit qu’il est un peu de là-bas et un peu d’ici, il mange du fromage et il boit du vin. Voilà, ça diverge à nouveau, pense Binh-Dû qui ne boit pas de vin. L’homme dit que « c’est quand même un bonheur que quelqu’un nous appelle papa », il ne va pas se remettre à pleurer, si ? « Mais c’est pas grave », conclut-il, et Binh-Dû qui ne désire pas être père a le cœur qui se serre.
La vie, faite de circonstances, peut durer longtemps. Il est d’immortels chagrins qui donnent aux hommes l’apparence du divin. À force de métaboliser son désespoir on en devient momie de son vivant, les cheveux noirs un peu trop longs sur la nuque, mais il y a de la beauté aussi dans le ralentissement des électrons. Une petite brise fait s’envoler les pétales du cerisier.

[merci à Claire Simon pour l’inspiration]