jeudi 22 mars 2018

22 mars


La silhouette en manteau rouge se tient immobile sous la pluie. Entre ciel et trottoir, c’est la nuit. À mieux y regarder, il n’y a pas de trottoir ni de chaussée, c’est un sol de terre qui absorbe la pluie, qui parvient à saturation. La fille a les pieds dans une flaque allant s’agrandissant, elle se tient peut-être déjà sur un îlot d’où partent des rides concentriques. En fait de manteau, il s’agit d’un imperméable, du genre poncho avec une capuche. La fille porte aussi des cheveux longs qui pendent sur les côtés, détrempés. Elle regarde Binh-Dû en face, les bras ballants. Telle une apparition. Elle ne sourit pas, son expression est un peu triste, ou seulement perdue, frigorifiée ?
Enfant, Binh-Dû grimpait dans la frondaison d’un magnolia. Il y restait des heures, avec des crayons de couleur. Personne ne soupçonnait qu’il était caché là, pensait-il, même sa mère qui prenait le soleil un peu plus loin ou son père qui appelait parfois, raquette de ping-pong à la main, faisant rebondir la petite balle blanche. Binh-Dû ne dessinait pas aussi bien que l’amie à l’imperméable rouge qui romance en autoportrait sa solitude. Au bout d’un moment il avait mal aux fesses, alors il changeait de fourche. Souvent il cédait à l’appel de son père et courait le rejoindre dans le garage où était dépliée la table verte.
Une danseuse balance ses bras de part et d’autre de son corps, du sol jusqu’au ciel, et les étoiles se décrochent dans le mouvement en fond de scène, comme emportées par l’air déplacé, et le ciel tout entier se met à danser en une rotation cosmique infinie, dans son siège Binh-Dû s’envole à leur suite, il n’est rien qui s’abstienne de filer, ni le temps, ni la joie, ni la tristesse, ni la pluie au sortir du spectacle qui finira bien par fleurir le bitume.

(merci à Anaïs Blanchard)